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Quand on connaît l’envers du décor, on ne s’étonne plus que certains livres publiés à ce jour contiennent tant de coquilles !


Tandis que je ne travaillais qu’avec des particuliers, j’ai été approchée par plusieurs maisons d’édition dont je tairai le nom… Chouette ! Des contrats réguliers avec des revenus réguliers !

Oui, parce que quand on est entrepreneur individuel, financièrement, parfois les mois se suivent sans se ressembler. Surtout dans un secteur précaire…
(Ça me donne une idée pour un futur article !)

J’avais d’autres clients à côté, mais je me suis dit qu’un éditeur dans mon listing ne serait pas mal…

C’est en découvrant ce jour un article d’Actualitté sur la condamnation des éditions Robert Laffont que je me suis souvenue de mauvaises expériences.

Le test de correction

Avant toute chose, sachez qu’un éditeur n’a pas le droit de vous demander de corriger un manuscrit entier sous prétexte de vous faire passer un test. Ça s’apparente plus à du travail illégal qu’à une évaluation.

Vous pouvez refuser un test allant au-delà de 10 000 signes — d’après le tract d’un syndicat sur lequel je suis tombée sur un groupe Facebook d’entraide de correcteurs.
(Non, je ne suis encartée nulle part !)

Communiqué de presse de SGLCE – la CGT correcteurs du 14 mai 2022

À l’époque, je l’ignorais… Bien que j’aie trouvé qu’on m’en demande beaucoup pour un test, j’ai quand même voulu donner suite.

J’accepte donc de corriger un manuscrit complet, pour zéro euro, en moins de deux semaines et sur InDesign que je ne connaissais pas du tout !
Les conditions ne sont guère idéales, mais j’ai un peu de temps : je suis à jour sur mon planning.
Alors pourquoi pas ?

Néanmoins, comme je dois faire vite, j’ai l’impression de bâcler mon travail. J’adore mon métier, donc j’ai horreur de ne pas pouvoir le faire soigneusement.

Puis, pour cause de COVID, je me retrouve dans l’incapacité de terminer ce test.
(Mais je reçois un gentil mail de l’auteur qui me remercie du travail effectué sur son roman. Il me recontactera un an plus tard pour me proposer la relecture de son deuxième livre, en projet d’autoédition.)

Quand je vais mieux, je prends conscience que la manière de faire de cette M.E ne me convient pas.

Le délai est trop court, je n’apprécie pas de me sentir « sous pression », d’autant que la rémunération n’a rien de mirobolant…
De plus, on me demande explicitement de « faire uniquement une lecture en diagonale du texte et non une lecture approfondie ».

Et ça, c’est une chose difficile pour la perfectionniste que je suis. Je fais part (en m’en plaignant un peu) de la courte durée qu’on m’octroie par manuscrit. Je déclare ne pas pouvoir travailler dans une telle urgence.

« Mais vous avez Antidote ! Ça doit bien vous aider ! »

Alors oui, pour l’homogénéité de la typographie et dans le choix de l’orthographe réformée ou non. Pour uniformiser des mots écrits différemment. Pour repérer des fautes de frappe, aussi.

Mais un logiciel ne remplacera jamais un œil humain. Et une lecture en diagonale ne permet pas de tout voir…

Cela ne correspond pas à ma méthodologie de travail.
J’aime imprimer et prendre mon stylo rouge. Je vérifie, en plus de la forme, si le fond est cohérent. De surcroît, je fais habituellement deux relectures des documents qui me sont confiés.

Rémunération et échéance ⌛️

En recevant le courriel de proposition de collaboration, j’avais déjà tiqué sur le prix proposé pour la relecture d’un manuscrit.

Mais quand on commence, être repérée par un client professionnel sans l’avoir prospecté est trop flatteur pour refuser !

Pourtant, bien que j’aie quand même fait la plus grande partie du test avant de tomber malade, j’avais immédiatement déchanté devant ma boîte de réception.
Dans le mail reçu, on me précise :

« Échéance :
– Délai de livraison pour une maquette : 8 à 10 jours.
– Temps de travail moyen par maquette : 4 à 6 heures en fonction de la taille du livre.
Rémunération :
– 75 € ttc pour une maquette de moins de 625 000 caractères espaces comprises
– 100 € ttc pour une maquette de plus de 625 000 caractères espaces comprises. »

Vous en conviendrez, la compensation financière est bien loin d’être suffisante !
Les cotisations à l’URSSAF, bien sûr, ne sont pas prises en compte.
Après déduction des charges, se retrouver avec 59,10 € pour plus de 4 à 6 heures de travail annoncé, c’est un peu léger…

Surtout qu’en réalité, pour bien faire, cela prend davantage de temps !
Ou du moins, je prends davantage de temps, même s’il ne me faut pas non plus un mois pour rendre un travail.


Une autre éditrice à l’étranger qui, non contente de me téléphoner tous les jours à des horaires parfois tardifs, a mis plus de six mois à me payer… m’a même fait la remarque !

« Ah oui, quand même ! Je ne pensais pas qu’il vous faudrait une semaine et demie pour corriger 300 pages ! »

Première et unique collaboration ! Le plus désespérant c’est que, si elle m’a finalement payée en janvier pour un travail exécuté en juillet l’année précédente, elle ne l’a fait que parce son assistante m’a contactée par erreur… pour me proposer un nouveau contrat ! (Toujours dans des conditions lamentables.)

⚠️ À ce stade, il me paraît important de marquer ce tout petit rappel : quand on fait appel à un autoentrepreneur, c’est l’autoentrepreneur qui établit son tarif et son délai. ⚠️

Mais ça, visiblement, de nombreux éditeurs n’en ont que faire… Et moi, jeune freelance, comme je vous l’écrivais plus haut, je voulais juste ajouter un ou deux contacts à mon joli porte-cartes pro.

Pourtant…

Si l’on fait la somme de la faible rémunération — imposée —, du délai de livraison — imposé — et des mails reçus le week-end, des appels tard le soir

Ça évoque un peu un rapport de subordination, non ?

⛔️ On n’est vraiment pas loin du salariat déguisé là. ⛔️

Une pratique qui se banalise

J’en ai discuté avec des confrères et consœurs : on ne peut malheureusement que constater la banalisation de telles pratiques.

Ce sont des indépendants peu cher payés qui font le job. Et en un minimum de temps pour en corriger le plus possible. À ce prix, il faut en relire, des manuscrits, pour pouvoir en vivre correctement !

Prendre un correcteur à temps plein reviendrait trop cher en charges salariales. Les freelances en recherche de missions deviennent le principal vivier de ces relecteurs sous-payés.
Le métier est constitué de nombreux indépendants précaires.

Quand on connaît l’envers du décor, on ne s’étonne plus que certains livres publiés à ce jour contiennent tant de coquilles !


Même de grands groupes ont été épinglés pour l’utilisation de telles méthodes, comme je vous le disais en introduction.

C’est donc le cas des éditions Robert Laffont qui viennent d’être condamnés par le conseil des Prud’hommes de Paris, le 22 décembre 2023 « pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, travail dissimulé et préjudice causé à la profession ».

L’action avait été portée devant la justice en 2020 par une correctrice autoentrepreneuse qui relatait des conditions de travail dissimulé.

(Si vous souhaitez lire l’article complet d’Actualitté sur ce sujet, c’est par ici.)

(Encore une action menée par le SGLCE – la CGT correcteurs, mais je vous promets que je n’ai pas ma carte d’adhérent !)

Et puis, malgré les sommes parfois infimes, ces maisons d’édition peuvent « oublier » de régler votre facture. (Bon, cela arrive aussi avec les clients particuliers.)

Ces éditeurs peu scrupuleux se font de plus en plus de place dans le monde de l’édition, et donc de la correction.

Les relecteurs, comme chacun, ont des factures à payer : ils signent alors ces contrats aux tarifs dérisoires. Ils font de leur mieux dans le temps qui leur est imparti.

Peut-on leur en vouloir de laisser passer des erreurs, au rythme où les manuscrits tombent sous leur regard ?


Une collaboration à long terme avec une maison d’édition est un rêve pour de nombreux correcteurs littéraires.
Participer à « sublimer » un texte avant qu’il soit imprimé puis lu par le plus grand nombre. Faire en sorte que ce dernier reflète exactement ce que l’auteur a voulu dire. Aider à son niveau en gommant les imperfections. Ouvrir le livre, plus tard, et se dire qu’on y a apporté sa petite touche.

Je dois avouer qu’il s’agit d’une sensation bien agréable.


Les signaux qui doivent vous alerter

Si l’éditeur vous impose :

  • Un test non rémunéré sur un manuscrit complet
  • Une rémunération
  • Un temps de réalisation du travail trop court
  • Un lien de subordination
  • Des appels sur votre WhatsApp pro un dimanche soir à 20 H… (Oui, oui, c’est du vécu ! Vous pensez bien que je n’ai pas décroché. J’ai juste regardé mon téléphone vibrer.)

Faites-moi confiance, fuyez !

Pour conclure

Quand j’ai reçu d’autres propositions similaires, je les ai refusées sans réflexion ni regret !

J’ai tout de même eu plus de chance avec un autre éditeur lorsqu’il m’a confié la correction de manuscrits : ouf ! Je désespérais !


Vous êtes freelance (quel que soit votre corps de métier) et vous avez déjà vécu une situation similaire avec un client légèrement envahissant ? Une entreprise qui vous imposait ses conditions de travail ? Comment y avez-vous réagi ?

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